vendredi 20 avril 2012

Série Psychologie Positive / Volet 1 - magasine "Ca m'intéresse", janvier 2012

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 Ça m'interesse -N°372 Paru le 25 janvier 2012
Nouvelle série : La Psychologie Positive / Volet 1 (page 26)


"Amour, famille, enfants, santé, travail, argent, beauté, jeunesse…
Qu’est-ce qui nous rend heureux ?

Avant, les psys n’étudiaient que notre mal-être. Désormais, grâce à la psychologie positive, ils s’intéressent aussi aux gens heureux. Pour notre plus grand bonheur…
Texte Frederika Van Ingen


"Vous êtes-vous seulement intéressé à l’autre côté de la médaille ?" Cette question toute simple, posée  en 1983 à Martin Seligman, un psychologue américain, par son voisin de siège, chef d’entreprise, dans  un avion en direction de Philadelphie, est à l’origine depuis une dizaine d’années d’une révolution des connaissances scientifiques sur notre psychisme.
 Jusqu’alors, ce chercheur travaillait sur l’«  impuissance acquise », ce sentiment de découragement et d’impossibilité d’atteindre un objectif, qui  mène très souvent à la dépression. A l’inverse, ce voisin providentiel lui suggérait d’étudier les personnes optimistes. Seligman s’y intéressa, et découvrit que non seulement cet état d’esprit protège  de la dépression, mais qu’il a de nombreux retentissements positifs sur la vie. 

Nommé en 1998  président de l’Association américaine de psychologie, Martin Seligman impulsa un changement : la  psychologie ne devait plus se préoccuper uniquement des malades et des émotions négatives, mais  aussi de ceux qui vont bien. « Jusqu’alors, la psychanalyse nous avait emmenés dans les tréfonds de la  négativité de l’être humain, analyse Thierry Janssen, ancien chirurgien et psychothérapeute. C’est  important, mais une fois qu’on est là, qu’est-ce qu’on fait ? Quant à la psychologie clinique, elle s’est  construite, surtout aux Etats-Unis au lendemain de la guerre, sur la nécessité de soigner les pathologies psychiques des vétérans. On soignait le psychisme malade avant de se tourner vers le psychisme sain, un peu comme si la médecine ne s’était attachée qu’aux  maladies, sans savoir comment marche un corps sain. » Mais la situation évolue.

 Et si, en 2004, un  psychiatre d’Harvard recensait dans un ouvrage de référence en psychiatrie 5 lignes sur la joie, 1 sur l’espoir, contre des milliers sur l’anxiété, la dépression, et des centaines sur les émotions négatives, aujourd’hui, 3 revues scientifiques internationales et des milliers de publications sont dédiées à la  psychologie positive. Des techniques préventives qui marchent à tous les coups. 

De quoi s’agit-il  exactement ? 

« La psychologie positive n’est pas la pensée positive, il ne s’agit pas de positiver,  précise Thierry Janssen. Elle rééquilibre la vision de l’être humain qui était profondément négative. »  Précisément, c’est l’étude scientifique des conditions et des processus qui contribuent à  l’épanouissement et au fonctionnement optimal des individus, ainsi que des groupes et des institutions.  Autrement dit, elle s’intéresse à ce qui nous rend heureux à titre personnel, et dans nos  interactions sociales

Quoi de neuf par rapport à la quête du bonheur des philosophes de l’Antiquité ?

 « Il y a 2000 ans,  Epictète, Marc Aurèle, ou Sénèque avaient le même cerveau que nous, donc ils avaient déjà découvert des façons de cultiver le recul, la lucidité, et les émotions positives, reconnaît le psychiatre Christophe  André. Ce qu’il y a de nouveau maintenant, c’est qu’on a fait la preuve par des études cliniques,  statistiques ou de neuro-imagerie, de ce qui marche, et qu’il n’est pas nécessaire d’être des âmes  exceptionnelles pour appliquer ces techniques : elles marchent pour tout le monde. »

Ainsi, l’IRM a  démontré que pratiquer la méditation de pleine conscience, une méthode  préventive de plus en plus utilisée par les psys, amplifie l’activité des zones cérébrales dédiées aux  émotions positives, le cortex préfrontal gauche notamment. Imagerie, entretiens, questionnaires,  expérimentations : les chercheurs en psychologie positive utilisent les outils de la psychologie  classique. Et ils en ont développé de nouveaux. 

Par exemple, des petits boîtiers électroniques que les « cobayes » portent tout au long de la journée, et qui vibrent de façon aléatoire. Ils doivent alors inscrire  ce qu’ils sont en train de faire et évaluer sur le moment leur état de bien-être. Baptisée Experience  Sampling Method (ESM), cette méthode permet d’éviter le biais de la réévaluation a posteriori, due au  fait que notre mémoire enjolive toujours les expériences passées. Grâce à l’ESM, les chercheurs ont mis en évidence quelques-uns de nos paradoxes.

Ainsi, le psychologue américain Mihály Csikszentmihályi a interrogé de nombreuses personnes pendant leur travail, puis après, de façon aléatoire. Or, d’une part, durant le travail, elles se déclaraient contentes, motivées et concentrées, et ce d’autant plus que leur activité sollicitait leurs compétences. Au cours de ses travaux, le chercheur a identifié ces états, ces moments de bien-être que nous connaissons tous  dans diverses situations, comme étant des « expériences optimales », et remarqué qu’ils contribuent  très largement au sentiment de bonheur. 

D’autre part, les personnes interrogées ressentaient ces états plus souvent au travail que pendant leurs loisirs. Pourquoi associons- nous alors plutôt le travail à la  peine ? Pour le chercheur, ceci s’explique par la culture, et par le fait que le ressenti positif éprouvé  sur le moment ne demeure que s’il rejoint un but que s’est fixé la personne ; or, beaucoup ne voient  pas forcément de sens à leur travail. Quant aux loisirs, tout dépend de leur nature : le psychologue a  étudié des milliers d’adolescents et montré que, lorsqu’ils consistent  à pratiquer un sport ou un jeu, les ados éprouvent cette satisfaction pendant 44 % du temps, 34 % lorsqu’il s’agit d’un hobby, et 13 % quand ils regardent la télévision. 

Autre résultat étonnant, la santé : des chercheurs de l’Université du  Michigan ont comparé le niveau de bonheur déclaré selon la méthode ESM de personnes en bonne  santé, à celui de patients dialysés. Et contrairement à ce qu’on imaginerait, les deux groupes se  déclaraient aussi heureux.

De même, la vie de famille ne serait pas aussi rose que le véhiculent les  idées reçues : « Lorsque ces boîtiers sonnent quand les parents s’occupent de leurs enfants, changent  les couches, etc., raconte Thierry Janssen, le taux de satisfaction n’est pas grand. Mais dès qu’il s’agit  d’en parler, même quelques heures plus tard, l’enfant est le bonheur de leur vie. Cela souligne l’écart entre le déplaisir du moment (devoir se fâcher, désaccords avec le conjoint, etc.) et le sentiment de satisfaction généré par le sens que l’on attribue a posteriori à ce que l’on fait. » D’autres études ont  montré que la vie de parent influence le niveau de bonheur : il baisse en général quand l’enfant est  petit, puis remonte, rebaisse à l’adolescence, et remonte quand l’enfant quitte le nid. 

Paradoxe aussi de la vie de couple : si les recherches ont mis en évidence que ceux qui vivent à deux sont souvent  plus heureux que les célibataires, le couple est la source la plus grande de conflits et son effet positif décroît avec le temps. 

Est-on plus heureux quand on est jeune ? Selon l’Américain Richard Easterlin,  qui s’est penché sur les cycles de la vie, le bonheur croît avec l’âge, pour culminer vers la cinquantaine. Il l’explique par l’augmentation avec l’âge de l’autonomie, de la capacité à s’adapter  aux circonstances et de choisir les situations qui génèrent des émotions agréables. Après 50 ans, deuils  et problèmes de  santé plus fréquents peuvent affecter le niveau de bonheur ressenti, qui malgré tout reste parfois très élevé selon les personnes.

Après le mythe de la jeunesse, faut-il revisiter celui de la beauté ? La psychologie positive s’est intéressée à la chirurgie esthétique, et des études ont  montré que son effet sur le niveau de bonheur n’est que de courte durée. Au bout de quelques temps, il  revient au niveau initial. Une équipe de l’Université de l’Illinois a, quant à elle, filmé des étudiants,  les a interrogés sur leur image d’eux-mêmes et leur niveau de bonheur, et a demandé à d’autres d’évaluer leur beauté. Résultat : les plus heureux n’étaient pas jugés plus beaux que les autres, mais ils  se sentaient beaux. C’est donc le sentiment d’être beau, plus que la beauté, qui rend heureux.

 L’argent entrave la capacité à savourer les petits plaisirs de l’existence. Et quid de l’argent ? Fait-il ou non le bonheur ? Des chercheurs de l’Université de Columbia et de Harvard ont étudié 429 adultes gagnant de 5 000 à plus d’un million de dollars par an, en leur demandant d’évaluer leur niveau de bonheur et celui des autres. Or, non seulement, tous se disaient relativement heureux, mais les moins  aisés se déclaraient beaucoup plus heureux que ne le pensaient les autres. Les plus riches projetaient  plus d’effets négatifs sur le fait de gagner peu que les moins riches n’en ressentaient réellement. Enfin,  l’étude montrait qu’au-delà d’un certain seuil, le niveau de bonheur n’augmente pas. Une étude  de 2006 du psychologue Daniel Kahneman notait d’ailleurs que si les plus aisés sont souvent satisfaits  de leur vie, ils ne sont pas plus heureux dans leurs expériences quotidiennes, ne consacrent pas  beaucoup de temps à des activités agréables, et se sentent plus souvent anxieux et en colère. 

Selon le  psychologue Jordi Quoidbach et ses collègues, cela s’expliquerait par le fait que l’argent entrave la  capacité à savourer les petits plaisirs de la vie. Leur expérience réalisée à l’université de Liège le  confirme : en demandant à des personnes de goûter une soi-disant nouvelle praline, ils montraient,  discrètement, pour qu’ils n’en aient pas conscience, soit une photo de billets de banque, soit une photo neutre. Résultat : les personnes qui avaient été exposées aux billets mâchaient plus vite et souriaient moins. La vision de l’argent modifiait, en négatif, leur capacité à savourer ce moment agréable.  

Mais au fait, à quoi sert de savoir si ces petites et grandes choses font ou non notre bonheur ? 

A déterminer  ce qui contribue à ce que les chercheurs appellent « les expériences subjectives positives ». C’est un  des champs de recherche de la psychologie positive, avec l’étude des « traits de personnalité positifs »  et des moyens de les développer. Quelles en sont les applications ? Améliorer l’éducation scolaire, les  rapports familiaux, la satisfaction au travail, etc. Mais ce n’est pas tout. 

Plusieurs études au long cours  ont montré que le sentiment de bien-être et les émotions positives ont un effet positif direct sur la santé. En 2008, une analyse de ces études par un sociologue néerlandais évaluait même entre sept et dix  années supplémentaires l’espérance de vie des personnes très satisfaites de leur vie. « En tant que  médecin, confirme Christophe André, je pense que ces recherches sont importantes. En psychologie et  en psychiatrie, nous sommes en retard dans les approches de prévention, c’est-à-dire ne pas attendre la  maladie, mais travailler à aller bien. Ce qui est bon pour tout le monde, la Sécu, etc. Et en tant que  citoyen, ajoute-t-il, je suis certain que plus les humains vont bien et moins ils vont faire souffrir les autres : une société composée d’individus un peu plus heureux sera un peu plus agréable à vivre…».

Références / Livres
 - « Le Défi positif », Thierry Janssen, éd. LLL, Les liens qui libèrent. 
- « Pourquoi les gens heureux vivent-ils plus longtemps ? »,Jordi Quoidbach, éd. Dunod.
- « Introduction à la psychologie positive », Jacques Lecomte, éd. Dunod.    "

Retrouvez l'original de l'article en numérique sur le site www.psychologue-montpellier.fr

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